La Pièce de Séjour

...

[Etage supérieur]

Encore endolori par sa méchante nuit, Nicias se glissa péniblement mais en silence jusqu'à la pièce de sejour.

Il se demandait ce qu'Anthéa lui avait preparé, elle avait souvent tendance à voir trop grand, il avait toujours eu l'appetit frugal, mais il ne voulait pas la vexer, et se faisait un devoir de goûter à tous ses plats.

S'installant à table, il attendit Anthéa tout en savourant le délice d'une délicate brise du matin qui s'engouffrait à travers les fenêtres.

[La cuisine]

"Bonjour capitaine"

Anthéa venait d'entrer dans la salle de séjour, portant une assiette qu'elle posa devant Nicias. Elle y avait déposé des galettes des blé, du fromage de chèvre et des olives.

Elle regarda l'homme un peu à la lumière du matin qui filtrait dans la pièce. Elle se souvenait encore du moment où il l'avait ramenée à la maison après la nuit des dieux. Il avait eu peur de la perdre, elle l'avait senti. Il l'avait portée au salon et l'avait réchauffée en la prenant dans ses bras. Ce souvenir lui donna un léger sourire. Elle l'appréciait, probablement d'une manière assez semblable que lui l'appréciait.

Mais elle le voyait crispé et raide dans ses mouvements, et cela pratiquement tous les matins. Anthéa se demandait pourquoi un homme relativement jeune pouvait avoir autant de courbatures. Il n'était pourtant pas fermier, il ne faisait pas de travail épuisant qui puisse le meurtrir.

"Tu as mal dormi on dirait... veux-tu que je rajoute plus de paille sous ta couche ?"

Tout en commencant à manger en silence, en appreciant toujours avec la même joie, la cuisine de sa jeune servante...

Il écouta en silence la question d'Anthéa, mais n'y répondit pas tout de suite, finissant une galette de blé, il semblait plonger un instant dans une profonde reflexion, son regard bleu-vert se fit lointain, il semblait ailleurs.

Avant de se décider à répondre sur un ton de fausse plaisanterie:

" Ce n'est pas la qualité de la couche qui est en cause, c'est celle de mon sommeil Anthéa..."

Nicias avait l'air ailleurs, en proie à une intense réflexion. Anthéa se demandait à quoi il pouvait bien penser mais ne demanda rien.

"Oh... dans ce cas j'ai bien peur de ne pas pouvoir t'aider capitaine..." lui répondit-elle.

S'il avait été capitaine d'un bateau, il était très probable qu'il commence à souffrir de solitude.

*Je ne vois que cette raison...*

Que pouvait-elle faire, elle, esclave, pour aider son maître et l'empêcher de sombrer dans une déprime ou pire.

"Capitaine ? Que dirais-tu d'organiser un banquet ? Je m'occuperai de tout, j'irai donner les invitations et je préparerai le repas. Ce soir, tu n'auras qu'à accueillir les invités et leur montrer que tu possèdes la plus belle villa de Kalymnos. Qu'en dis-tu ?"

La voix d'Anthéa était trépignante d'excitation. Elle attendit la réponse de Nicias, espérant qu'il lui donne son accord.

La réponse d'Anthéa le surprit, cette jeune fille avait décidement une joie de vivre incroyable, il se demandait comment elle allait pouvoir s'accomoder du caractère taciturne de son maître à la longue...

Enfin, après tout, il était nouveau aussi, et un banquet serait l'occasion de nouer des alliances, et puis des sujets graves devaient être discutés sur l'avenir de cette île...

Lissant sa barbichette noire, il fit tout abord d'une voix monocorde :

"Je doute que cela suffise pour que mes nuits s'améliorent ma jeune servante..."

Puis d'une voix plus enjouée mais assez grave :

"Mais après tout, ce sera le moyen de s'entretenir de certaines choses importantes..."

Faisant jaillir une bourse de cuir de sa poche, il la déposa sur la table :

"Voilà pour les menus frais, ce qui vaut pour toi Anthéa, tu te dois de porter une parure digne de l'honneur de cette maison..."

Se levant de table, il fit quelques pas avant de conclure :

"Je t'autorise à inviter qui tu souhaites, mais je t'interdis d'inviter Milo le fermier par contre... sur ce je te laisse, je vais me dégourdir les jambes..."

[à definir]

La première réponse de Nicias lui fit perdre un peu le sourire. Elle crut qu'il ne voulait pas qu'elle organise le banquet. Mais sa deuxième phrase la fit presque sautiller sur place. Il acceptait. Il y aurait un grand banquet ce soir à la villa. Voilà qui allait occuper sa journée, Anthéa était ravie.

Avec un sourire rayonnant, elle prit la bourse de cuir.

"Merci Capitaine, je ferai de mon mieux pour que ce soit réussi."

Elle mena les assiettes à la cuisine puis se précipita hors de la maison, elle savait qui elle voulait voir en premier.

[Maison du guérisseur]

[Le Jardin]

S'aidant de Lysandre, Anthéa entra dans la pièce de séjour puis s'assit sur un siège en soupirant. Quelque chose de plus la tracassait à présent.

"Lysandre..." Elle se tut quelques secondes avant de poursuivre, autant profiter que son maître n'était pas encore rentré. "Ne dis jamais à Nicias ce que tu penses de lui. Je tiens à toi, je ne veux pas qu'il t'éloigne ou s'en prenne à toi."

Oui elle tenait à lui et elle venait de le dire. Elle n'avait certainement pas prévu de le lui dire de cette manière mais les circonstances étaient guère adaptées à mieux.

"Comment va Atréides ?"

[Le Jardin]

Lysandre resta un moment silencieux, battant des paupières. Il n'était pas vraiment sûr d'avoir bien compris ce qu'Anthea venait de lui dire. Bien entendu, les circonstances étaient exceptionnelles. Mais, malgré tout, l'entendre elle, parler ainsi... Il n'était pas déçu, loin de là. Cependant, répondre franchement à Anthea aurait pu lui nuire, tout autant qu'à elle.

"Nicias... est ici le maître. Mais qu'il n'oublie pas que son domaine ne s'étend pas jusqu'à chez moi. Pour le moment n'ait pas d'inquiétude. Il m'a engagé, et je m'acquiterai de ma tâche."

Le fait que l'esclave se préoccupe du sort de son agresseur laissa également le jeune homme perplexe. Espérait-elle qu'il se soit grièvement blessé ? Non. Anthea n'était pas de nature vindicative.

"Il est inconscient, rien de plus, ce genre de personnes à la vie dure... Tu as fais preuve de beaucoup de sang-froid."

Après un instant de réflexion, il se rapprocha de la jeune fille avec un léger sourire sur les lèvres.

"Ecoute, je n'ai pas encore beaucoup de travail à la rôtisserie. Veux-tu que je reste quelques temps ici ? Nous pourrions préparer le banquet. Cela nous permettrait d'oublier un peu cette sombre histoire..."

Le regard d'Anthéa s'était posé ailleurs que sur Lysandre, elle craignait ce qu'il allait lui répondre. Elle n'aurait peut-être pas dû dire ce qu'elle pensait aussi soudainement mais elle avait voulu le prévenir...

Lorsque Lysandre reprit la parole, la jeune femme leva les yeux vers lui. Il lui répondait par rapport à Nicias, mais rien à propos de ses sentiments envers elle. A quoi s'attendait-elle ? Elle réprima un sourire moqueur devant sa propre naïveté. Le visage d'Anthéa redevint par contre parfaitement calme et les dernières rides de la peur ou du choc qu'elle avait ressentis s'estompèrent.

"Je n'ai fait preuve de rien du tout." dit-elle tout bas. Ce n'était pas elle qui l'avait sortie de cette situation. Elle s'était contentée de subir.

"J'irai soigner Atréides un peu plus tard." Son regard se posa à nouveau sur le rôtisseur lorsque celui-ci s'approcha d'elle en souriant puis hocha la tête avec un léger sourire.

"Oui.. j'aimerais beaucoup. Merci d'être là."

[Portique]

Iry-Hor avait fait passé la bandoulière de son sac par dessus sa tête tout en marchant et passa le seuil de la pièce de séjour d'un pas rapide.

Anthea se trouvait bien là, accompagnée d'un inconnu. Elle était consciente et était même en pleine conversation.
L'égyptien fronça les sourcils, à la fois agacé qu'on l'ait fait venir pour rien et à la fois soulagé que la jeune femme ne soit effectivement pas en danger.

"Que s'est-il passé ici, que Nicias soit venu me chercher à la rivière ? Il paraissait tellement inquiet que j'ai crains pour ta vie, Anthea."

Il s'avança vers l'esclave et s'inclina légèrement devant le citoyen inconnu en guise de salut. Puis il examina le visage pâle de la jeune femme de ses longs yeux fardés.

"Il m'a parlé d'une plaie que tu aurais reçue à la gorge. Montre moi cela."

Son ton était ferme, il était dans son élément.

[Rivière]

Anthéa était désormais dans de bonnes mains, il était sur ce point rassuré, pour autant il ne pouvait s'abaisser à se jeter à son chevet, il avait un statut et des codes à respecter, ces barbares ne lui pardonneraient pas.

Il prit son temps à mener Souffle à l'écurie, il le bouchonna soigneusement, remplit à nouveau sa mangeoire, et se laissa aller à quelques caresses, il n'y avait que les animaux qui ne le décevaient jamais...

Il retourna ensuite dans la pièce de séjour, il s'y glissa en silence, un peu à l'écart, le regard sombre, les bras croisés, observant sans dire mot, les arts de l'égyptien.

La respiration de Lysandre s'était faite à nouveau rapide alors qu'il parlait avec Anthéa. Ce n'était pas de peur, cette fois, bien entendu. C'était à nouveau le plaisir privé et personnel de leur jeu, qui avait fait d'eux des intimes, malgré le peu de temps depuis lesquel ils se connaissaient.
Et cette respiration retomba totalement avec l'apparition de Nicias et d'un inconnu, apparemment égyptien. Il devait s'agir du guérisseur. Mis à part des traits agréables et réguliers, celui-ci n'avait rien de particulièrement remarquable. Cependant, Lysandre ressentit à son contact un profond apaisement. Il lui semblait que, autour du jeune homme, l'air prenait une texture différente. Plus profonde. Les sons semblaient résonner différemment.
Ne voulant pas gêner le guérisseur, il se recula de quelques pas.

"Elle va bien."

Les mots lui avaient échappés, comme à un gamin boudeur qui cherche à reprendre un adulte, tout en sachant, bien entendu, qu'il n'en n'a pas le droit. Il se mordit les lèvres. A quoi rimait cette stupide protestation ? Haussant les épaules, il se dirigea vers un coin de la pièce opposés à Nicias.

L'entrée de l'égyptien, suivi quelques instants après par Nicias la surprit, se demandant sur le moment la raison de cette venue soudaine, interrompant le tête à tête qu'elle avait avec le rôtisseur.

"Iry-Hor...?" souffla-t-elle plus pour elle même qu'autre chose. Elle comprit dans la seconde suivante que Nicias avait dû aller chercher le guérisseur, autrement dit l'égyptien à cause de son cou.

Les paroles d'Iry-Hor la laissèrent quelques secondes de plus dans un flottement d'interrogations. Nicias était tant inquiet que cela pour qu'il accoure aussi vite ? Elle venait juste de dire à Lysandre que l'attitude du crétois l'avait blessée en disant qu'il préférait sa mort à son honneur souillé. Le regard de la jeune femme se posa quelques instants sur son maître, les bras croisés dans un coin de la pièce. Elle ne savait plus quoi penser.

La voix du rôtisseur réondant qu'elle allait bien lui remit les pieds sur terre et elle regarda à nouveau l'égyptien.

"Oh... oui, je me suis coupée." dit-elle en renversant un peu la tête en arrière. La blessure était longue mais peu profonde. "Ce n'est pas grave ne t'inquiète pas Iry-Hor, je ne saigne plus."

Elle 's'était coupée'. Elle n'avait pas voulu raconter ce qui s'était passé car elle n'était pas sûre de pouvoir le raconter de la plus juste façon. Son esprit était encore un peu embrouillé et ne savait plus vraiment qui était coupable de quoi.

L'égyptien fronça ses fins sourcils et du bout des doigts suivit la fine coupure qui marquait la peau délicate de la jeune femme.

"Bien sûr, Anthéa. Tu es tellement maladroite, ce qui est bien connu par la Cité, qu'en faisant la cuisine tu t'ouvres la gorge. Comptes-tu me faire avaler une autre couleuvre ou me permets tu de refermer la bouche ?"

Dans une cuvette de terre cuite qu'un esclave avait apporté à sa demande, le guérisseur se lava les mains et les sécha sur un linge propre.

Il ouvrit alors son sac et en sortit une petite amphore, versa quelques gouttes d'huile sur une fine compresse de lin, tandis qu'il réclamait de l'eau bouillie.
Ayant obtenu ce qu'il avait demandé, il nettoya la fine plaie à l'eau désormais exempte de germes et appliqua la compresse sur la blessure.

"Ceci est une huile cicatrisante, à base de sauge désinfectante, de rose, de millepertuis cicatrisants et d'huile d'olive purifiée. Je vais te laisser ce flacon dont tu prendras grand soin en ne l'exposant pas à la chaleur, c'est une huile précieuse qu'il ne faut pas gâcher. Chaque matin, apres ta toilette tu en appliqueras une petite quantité. Dans quelques jours, il n'y paraîtra plus. Lave bien tes mains ensuite et ne les porte pas à tes yeux."

Nicias observa en silence le travail de Iry-hor, il n’osait s’enquérir de l’état de santé d’Anthéa de peur de provoquer un désagrément, il devait faire preuve de patience…

Il se devait de ne montrer aucune émotion, il ne pouvait se montrer faible envers les autres, il avait appris ainsi depuis longtemps à maîtriser ses émotions les plus élémentaires, il s’était forgé une carapace qui devait le protéger de cette faiblesse, et il ne baissait jamais sa garde, question de principe…

Il ne put s’empêcher tout de même de jeter un regard sombre sur Lysandre, certes il devait beaucoup à ce jeune grec, mais il ne goûtait son attitude visiblement peu amicale à son égard, ils étaient dans sa villa, et à ce titre Lysandre lui devait un minimum de respect…

Pour autant, il n’avait pas envie de s’abîmer en vaines querelles dont le sens lui échappait, sauf à la guerre, il n’avait pas de patience pour les subtilités des mesquineries de chacun, il n’était pas là pour se battre avec quiconque…

Il n’avait pas gagné la terre ferme pour retrouver ce qu’il avait quitté sur la mer, il avait échangé la paix contre la liberté, il n’avait pas gagné l’un, et avait perdu l’autre. Il avait abandonné son commandement et ses rapines pour ne plus subir le spectacle des horreurs qu’il commettait à chaque abordage, et il avait découvert d’autres luttes entre ces terres maudites de Kalymnos.

*Terre maudite pour un homme maudit par le souvenir de ses crimes* pensa t-il avec amertume.

Après tout, la paix valait bien un pas, il se décida à le faire, abaissant pour fois sa garde de fer, il se rapprocha en silence de Lysandre. Une fois à sa hauteur, il lui fit à voix basse, pour ne pas déranger Iry–Hor :

« Je te remercie encore Citoyen d’avoir veiller sur elle, je te dois beaucoup… »

Une parole accompagnée du geste puisqu’il lui tendit la main dans le but de le saluer, un geste qui lui coûtait beaucoup, il avait toujours détesté ce genre de contact physique.

S'il en coutait beaucoup à Nicias de manifester sa reconnaissance à l'égard de l'homme qui avait mis fin à une situation plutôt délicate, il en couta également beaucoup à Lysandre d'accepter l'hommage. Quelques minutes plus tôt, le jeune homme eut peut-être émis une remarque sarcastique, destiné à destabliser l'homme devant Anthéa. La jeune esclave avait été choquée - à raison, estimait le rôtisseur - par le comportement de son maître durant l'agression. Lysandre aurait voulu lui montrer qu'il était là, de son côté, et pas de celui de ce Crétois qui faisait bon marché d'une vie, négligeable en valeur relative, infiniement précieuse en valeur absolue. Anthéa était une personne remarquable sur de nombreux aspects, il n'y avait pas à tergiverser là-dessus.
Cependant, ce fut une nouvelle fois l'image de son père qui s'interposa. Ce père qui lui avait appris que jamais au grand jamais il ne fallait se brouiller avec un client... surtout après tout ce que l'on avait enduré pour en arriver là, dans cette boutique.

Aussi Lysandre saisit-il la main du Crétois en un geste quasi-fraternel, et une grimace qui ressemblait à un sourire :

"Ne te sens en aucun cas obligé à mon endroit citoyen. Je suis intervenu sans ton autorisation et, en tant que tel, tu ne me dois rien."

Le rôtisseur se mordit les lèvres mieux valait ne pas préciser devant le guérisseur la nature de l'incident. Visiblement, Nicias n'avait pas souhaité lui en expliquer la cause. A raison. En définitive, Lysandre était le seul à avoir suivi l'affaire de bout en bout, avec Anthéa. Anthéa qui, elle, pouvait être contrainte au silence par son maître. Le jeune homme sentit une vague de triomphe sourdre en lui et c'est avec, cette fois, un véritable sourire qu'il reprit la parole.

"Maintenant si tu me le permets, je souhaiterais m'acquitter de la mission dont tu m'as chargé. Je vais préparer le foyer pour le banquet de ce soir. Je retournerai ensuite à la rôtisserie pour y récupérer la viande, au dernier moment. De cette façon, elle sera la plus fraîche possible."

Anthéa sentit les doigts d'Iry-Hor glisser sur sa gorge ce qui lui fit remonter un frisson le long du corps. Elle fixait ses yeux maquillés avec une sorte d'admiration et de fascination mêlées.

Ses paroles la laissèrent un peu perplexe. Iry-Hor voulait savoir ce qui s'était passé exactement, oui c'était normal. Anthéa ne le lui avait pas dit expressément pour le laisser à l'écart des affaires de la maison, non. Elle n'était simplement pas sûre de parvenir à expliquer correctement ce qui s'était passé. Mais il avait le droit de savoir. Et Atréides avait peut-être plus besoin de soins qu'elle.

Tentant de rassembler ses souvenirs, elle regarda sans vraiment le voir l'égyptien préparer une compresse et l'appliquer sur sa plaie. Ses yeux se posèrent sur Nicias une nouvelle fois, puis sur Lysandre. Elle fut un peu rassurée de voir qu'ils ne se querellaient pas. Mais aucun des deux ne sembla vouloir expliquer ce qui c'était passé, bien qu'elle eut préféré ne pas avoir à le faire elle-même.

Après avoir attentivement écouté les prescriptions du guérisseur, Anthéa le remercia puis le regarda d'un air inquiet. "Iry-Hor... Un homme a besoin de tes soins... Il y a eu une dispute.. entre Nicias et le nouvel esclave, j'étais au milieu mais Lysandre l'a assomé, il est dans le cachot."

Son explication était un peu confuse mais elle ne pouvait guère faire mieux, même avec la meilleure volonté du monde.

Iry-Hor, qui continuait d'enduire la blessure d'onguent tout en psalmodiant une incantation pour lui-même, jeta un regard vers les deux hommes.

Il leva un sourcil, ainsi le crétois pouvait faire preuve de civilité. Voici qui était nouveau.
S'assurant que les deux hommes ne lui prêtait qu'une attention discrête, il posa la main sur l'épaule d'Anthea.
Le petit serpent qu'il portait à son bras comme un bijou précieux, leva la tête et glissa de la peau doré de l'égyptien à celle plus claire de l'esclave.

"N'aie pas peur" Murmura Iry-Hor si bas que seule la jeune femme put l'entendre. "Sekhmet est bonne envers les innocents et ta peau tendre ne portera pas la marque du coup que tu as reçu."

Le guérisseur chercha son regard et lui sourit. La jeune femme semblait en proie à une émotion violente et avait du mal à récupérer son habituelle assurance. Sa voix hésitante, ses mots confus, ses yeux qui se perdaient dans le vide, rien n'était fait pour rassurer l'égyptien.
Du bout des doigts il caressa la joue de la jeune femme.

"Tu as toujours été bonne pour moi, Anthéa, au temps de ma servitude et tu mériterais un meilleur maître que celui là."

Il récupéra du bout des doigts le petit reptile et referma pots et flacons qu'il glissa à nouveau dans sa sacoche.
Il se redressa enfin et fit un geste à l'esclave chargé de l'eau pour qu'il emporte la cuvette d'eau souillée et en prépare une nouvelle.

"Bien" Sa voix sonna claire quand il s'adressa à Nicias vers lequel il s'etait tourné. "Je ne jugerais pas de ce qui se passe dans ta maison, Crétois, bien que ce que je vois du résultat ne laisse aucun doute quant à ton impétuosité mal contenue. Anthea a besoin de repos. Je lui apporterai l'aide qu'il lui faut pour le banquet que tu donnes ce soir.. Je le fais pour elle et non pour toi, ne t'avise en aucune manière de me donner un ordre, quelqu'il soit."

Le ton froid de sa voix et son regard sombre ne laissait aucun doute sur les sentiments qu'il portait à l'homme.
Se tournant vers Lysandre, ses yeux verts s'adoucirent.

"Tu es donc le rôtisseur qui s'occupera du banquet, nous ne tarderons donc pas à nous revoir, je suis Iry-Hor."

Simple formule de politesse avant de faire quelques pas.

"Je dois voir cet esclave qui est tenu au cachot. Je n'ai pas besoin qu'on me montre le chemin, je connais l'endroit."

Un dernier regard sur Anthéa et il quitta la pièce.

[Cachot]

De nouveau, Nicias se fit indifférent à l'hostilité froide du jeune Lysandre, il s'obligea même à sourire, un peu de comédie ne ferait pas de mal dans cette cité sans civilité, il répondit sur un ton conciliant:

" Je te libére bientôt de mes civilités. Mais peux tu rester encore quelques instants, la blessure d'Anthéa rend peu envisageable l'organisation d'un banquet dés ce soir, toutefois je préfére m'en informer auprès d'elle, si cela te coûte d'attendre, je te dédomagerais en conséquence..."

Il sentit tout de même une sueur froide de colére lui traverser l'échine quand il entendit les mots insultants de l'Egyptien. C'était donc la mode de venir le traiter ainsi sous son toit ? Quelques coups de glaive se perdaient décidement en ces lieux.

Mais une nouvelle fois, il laissa l'outrage s'écouler sur lui, il ne voulait ni conflit ni meurtrisure, il ne voulait plus de sang, il détestait ce liquide...

Laissant partir l'égyptien sans un mot, il se rapprocha d'Anthéa, il retrouva son calme en caressant d'un geste frénetique le pommeau de sa lame. Une fois proche d'Anthea, il se mit à genoux devant son siege, s'empara d'un linge trempé, et fit d'une voix:

" Anthéa, ma douce Anthéa, te sens-tu prête à tenir ta place ce soir, ou veux-tu que je reporte le banquet, s'il ne tenait qu'à moi, je le ferais, mais je sais qu'il te tient à coeur, j'attends ta décision..."

Lysandre haussa mentalement les épaules lorsque Nicias lui répondit. Après tout, continuer cette dispute qui se vidait peu à peu de son sens n'aurait pas grand intérêt. D'autant plus que, même s'il ne s'était agi que d'une simple formule de politesse, la phrase du guérisseur avait eu un profond effet sur lui. Il n'y avait pas le moindre doute, cet homme avait un talent. Qu'il le tienne de ses dieux d'Egypte ou de ceux de ce pays n'avait pas grande importance. Il avait soigné Anthea et avait su, en quelques mots, intimer le respect au Crétois. Ceci suffit à Lysandre pour concevoir à l'endroit de l'Egyptien un profond respect.
Inspirant profondément, il reporta son attention sur Anthea. Il sentait obscurément que, de son choix, découlerait beaucoup de choses. Il ne s'y était pas trompé. Dans n'importe quelle situation, l'esclave demeurait une femme redoutable. Le maître et le serviteur, chacun tentait de s'attirer ses faveurs...

*Malheur à moi si je m'éprends d'une telle femme !*

Le regard de la jeune femme se perdait toujours entre le vide et les yeux verts de l'égyptien qui poursuivait ses soins sur elle. Une exclamation étouffée franchit ses lèvres à la vue du petit serpent qui venait sur elle mais elle ne dit rien, se rassurant des paroles d'Iry-Hor.

Elle leva alors les yeux vers lui et répondit à son sourire. Elle ne trouvait pas dans l'instant les mots pour lui exprimer sa gratitude, alors elle tenta de lui rendre son sourire le plus doux et franc possible.

Elle se redressa un peu sur le siège quand l'égyptien parla à Nicias puis à Lysandre. Elle écouta sans vraiment entendre, se frottant le visage pour reprendre une fois pour toutes ses esprits. Elle devait se ressaisir ou sinon le banquet serait complètement râté.

Iry-Hor était parti, probablement soigner Atréides, et Nicias s'était agenouillé devant elle. Anthéa le regarda dans les yeux, un air perplexe et indécis sur le visage. Le doute qu'elle avait eu à propos du Crétois sur sa personne se trouva encore plus embrouillé lorsqu'il s'adressa à elle d'une voix douce pour lui laisser le choix des évènements de la soirée.

Si Lysandre avait pu douter de son ascendant sur le Crétois, le soin que ce dernier prit pour lui demander son avis quant au déroulement du banquet ne pouvait que le conforter dans l'opinion qu'elle menait la maison à sa guise.

"Je tiens à ce que le banquet soit maintenu Capitaine... je vais bien. S'il te plait..." insista-t-elle. "Laisse moi juste un peu de temps pour me rafraichir."

Anthéa se leva en contournant Nicias et se dirigea vers la salle d'eau, mais revint au portique, alors que quelqu'un s'y présentait.

[Le portique]

La réponse avait beau être claire, elle n'était pas pour autant satisfaisante, l'ensemble des évènements qui venaient de se dérouler ne le portait pas à se perdre dans un banquet...

Il y avait en outre tant de choses à régler auparavant, et notamment le cas urgent de la bête féroce qui reposait dans ses geoles, il aurait préféré que la fête soit réportée au lendemain soir.

Il ne s'était en effet ni occupé des invitations, ni des musiciens, ni des danseuses. Et il se demandait si Anthéa était en état d'y figurer, un esclave en mauvaise forme était une insulte à sa maison...

Mais avant même qu'il n'est pu en discuter, Anthéa avait quitté la piéce. Une attitude qui faillit provoquer une colére noire chez le Crétois pourtant habitué à maitriser ses nerfs, mais il n'était pas seul dans la piéce, et ne pouvait se permettre de perdre ses nerfs sur une simple esclave devant une tierce personne, sa réputation en dépendait...

Il se contenta de faire laconique pour Lysandre:

" Sa décision me déplait fortement, ces esclaves sont décidement trés indociles..."

Puis son bras se détentit brusquement, et avec violence il frappa du poing sur le siège où était installée Anthéa auparavant, ce qui eut pour effet de faire voler quelques copeaux de bois, réaction de colére à peine libératrice...

Mais il ne pouvait se permettre plus en presence de Lysandre:

" Pour l'instant le banquet est maintenu, mais tout peut encore changer trés vite... Mais pour ne pas te faire perdre plus de temps, j'irai t'annoncer moi même plus tard la décision définitive... en autre terme: tu peux disposer Citoyen, et encore merci..."

Fit-il avec froideur, une froideur caractéristique chez lui d'une colére aussi terrible que devastatrice.

Il salua Lysandre, puis se mit en quête d'Anthéa...

Quittant la piéce, il ne pu s'empêcher de lâcher avant de partir:

" Voilà une bonne leçon citoyen, les esclaves sont une source d'ennui perpetuelle, et encore plus quand ce sont des femmes, conclusion: un bon chien est beaucoup plus utile..."

Une réflexion conclue par une bordée de jurons en persan, avant qu'il ne quitte définitivement la piéce...

[Portique]

Le sauvetage d'Anthea s'était donc conclu de façon classique. L'esclave était redevenu l'esclave, le maître restait le maître et le rôtisseur... avait du travail. Cependant, quelque chose faisait penser à Lysandre que des graines venaient d'être plantées dans un sol dangereusement fertile. Il allait falloir être prudent durant ce fameux banquet. Il n'était pas impossible que Nicias finisse par tenir grief à ce commerçant qui, en le tirant d'une situation embarassante, avait contracté une dette à son égard... Et que penser de l'esclave qu'il avait assomé ? Certes, il était fort peu probable que l'agresseur ait pu noter son identité... Cependant, quelque chose en Lysandre lui chuchotait que cet homme aurait à nouveau maille à partir avec lui.
S'étirant dans la pièce désormais déserte, le jeune homme chassa ces pensées funestes de son esprit. Il voulait revoir Lysea et Aeneas. Rien d'autre ne lui importait désormais. Des gens avec qui il pourrait réfléchir en toute tranquillité, des gens sans aucune velléité de manipulation.
D'un pas tranquille, il sortit de la propriété.

[La rôtisserie]