L'arriere boutique

[la boutique de la rôtisserie]

L'arriere boutique de la rôtisserie etait sombre lorsque les deux esclaves y entrèrent. Aeneas alla ouvrir le volet de la seule fenetre et le soleil et la lumiere purent enfin entrer dans la longue piece. Il s'empressa de verifier que la porte donnant dans les reserves de viande etaient bien fermée pour empecher que la chair ne se gate avec la chaleur. Les murs de la réserve etaient faits de pierre epaisse qui permettait d'y garder une fraicheur relative.

Puis le gaulois revint vers Lysea qui se tenait pres de la table de travail. Les paniers d'oignons qu'il avait rapportés du marché etaient posés en son milieu. Aeneas les prit un à un et les posa au sol à gauche du plan de travail, puis il se releva en repoussant sa natte dans son dos. Il posa ses yeux clairs sur Lysea et lui sourit.

"Je crois que nous allons avoir du travail aujourd'hui. Je te trouve pâle ces jours ci? Es-tu sure de bien te porter? Manques tu de nourriture? Ou de quoi que ce soit d'autre?"

[Boutique de la rôtisserie]

Lysea regarda Aeneas ouvrir le volet et elle plissa les yeux sous la lumière qui entra dans la pièce. Le gaulois vérifait la porte, transportait les oignons pour les enlever de la table. Lysea le regarda s'activer sans trop savoir quoi faire pour l'aider.

"Qu'est-ce que je dois faire ?" demanda-t-elle tout bas.

Puis quand il dit qu'il la trouvait pâle, Lysea porta sa main à sa joue puis regarda Aeneas avec un sourire.

"Je vais bien, c'est gentil de t'inquiéter. Je ne manque de rien... tu sais, je mange plus que quand j'étais chez moi... Je crois que je suis plus heureuse ici." conclue-t-elle en baissant les yeux timidement.

Rassuré Aeneas alla chercher deux tabourets et les installa cote a cote pour lui et la jeune esclave. Il alla ensuite chercher des plats et des couteaux aux lames effilées qu'il posa sur la table avant de recuperer un panier d'oignons.

"Assieds toi. Tu peux t'occuper des choux là-bas. Je vais éplucher et couper les oignons."

Le gaulois prit un des couteaux qu'il calla bien dans sa main et d'un geste précis entailla la peau brune sur le bord rond du bulbe qu'il entreprit ensuite d'éplucher. Puis il le coupa en quatre et déposa les morceaux sur un des plateaux. Il en prit un autre et eut ainsi le temps d'en eplucher trois avant que Lysea ne revienne pres de lui avec le panier plein de choux.

"Ce banquet tombe bein..."

Lysea s'assit sur le tabouret après avoir ramené les choux-fleur sur la table. Elle en prit un qu'elle posa devant elle pendant qu'Aeneas épluchait les oignons et le regarda quelques secondes. Elle allait cuisiner. Elle se rappelait sa mère qui avait toujours voulu qu'elle regarde seulement sans jamais rien toucher.

Lysea prit prudemment un couteau et coupa le choux en deux.

"Je dois juste les couper en deux ou en plus ?" demanda-t-elle en regardant le chou avec interrogation.

Puis lorsqu'il parla du banquet, Lysea le regarda en clignant des yeux.

"Pourquoi il tombe bien ? Je ne sais même pas si nous pourrons y rester pour nous amuser." dit-elle naïvement.

Les oignons commençant de faire leur effet, Aeneas se leva et alla respirer l'air frais à la fenetre en essuyant ses yeux larmoyants avec un tissus opropre puis il revint à sa place. Il prit le chou des mains de Lysea et lui montra des petites taches brunes.

"Il te faut oter ces petites taches gatées puis separer le chou en bouquets comme ca."

Le natté, de la pointe de son couteau, sépara les petits bouquets de choux fleurs comme autant de petits arbres puis jeta le coeur dur du légume.

"Tu as compris?"

Il revint ensuite à ses oignons en reniflant, des larmes coulant sur ses joues opalines.

"Je dis que le banquet tombe bien car il retardera les projets fous de Lysandre.. et je pourrai peut etre lui venir en aide avant qu'il ne se mette dans des ennuis qu'il n'imagine meme pas..."

Lysea regarda attentivement Aeneas préparer le chou pour pouvoir le faire par la suite sans aide.

"D'accord j'ai compris, merci." dit-elle en prenant un autre chou pour imiter son compagnon, parvenant à trier un autre chou sans difficulté.

"Tu pleures à cause des oignons... tu veux qu'on échange pour te reposer un peu les yeux ?" demanda-t-elle en lui tendant un chou.

"Comment comptes-tu aider Lysandre ? Il veut comprendre pourquoi les dieux nous ont puni, mais nous, nous ne savons pas pourquoi ils ont fait cela." demanda-t-elle en tentant d'éplucher un oignon récalcitrant.

[La boutique]

En pénétrant dans la cuisine, Lysandre eut le plaisir de voir ses deux esclaves au travail. Le gaulois et la jeune fille s'adonnait avec ardeur à leur travail, sans pour autant paraître trop débordée. C'était un tableau harmonieux et satisfaisant. Allons. Leur vie n'était pas si difficile après tout. Lysea parvenait même à accomplir sa tâche sans aucune difficulté. Peut-être l'avait-il mal jugé, en fait. Il suffisait de lui confier les tâches dans lesquelles elle se sentait à l'aise pour la voir devenir une esclave consciencieuse et efficace.

"Très bien" fit le rôtisseur, signalant ainsi sa présence. "Heureux de vous voir prendre des initiatives. Continuez, pendant que je vous explique comment va se passer la journée."

Il s'assit sur un des bancs de bois, observant l'activité de ses esclaves.

"J'ai fermé la boutique aujourd'hui. Ce que nous allons gagner aujourd'hui couvrira largement les pertes sur nos ventes. Lysea, je veux que tu continues à préparer les légumes. Aeneas, cet après-midi, nous nous rendrons chez Nicias avant de préparer comme il se doit la cuisine. Est-ce bien compris ? Je dois vous laisser un instant, une course urgente m'appelle. Je reviendrai très vite, et je voudrais que tous les légumes soit prêts pour mon retour. Aeneas, tu me prépareras des lames, nous devrons abattre des agneaux aujourd'hui."

Sans une explication de plus, le jeune homme quitta les lieux. Il lui vint à l'esprit que son père n'aurait jamais, au grand jamais laissé ses esclaves seuls dans la boutique. C'était pour lui une pratique "parfaitement stupide".

*Je ne suis pas mon père.*

[La villa de Nicias]

Aeneas sursauta en entendant la voix de Lysandre juste derriere lui et se retourna aussitot, faisant voler sa natte par son mouvement. Il détourna les yeux lorsque son regard croisa celui de son maître. Avait-il entendu ce que Lysea avait dit en dernier ? Il espérait que non et s'il avait entendu Lysandre n'en fit pas mention lorsqu'il expliqua ce qu'il avait prévu pour la journée.

Fermer la boutique? Ce banquet devait donc etre d'importance pour que le rotisseur prenne une telle décision. Le gaulois aquiesca d'un mouvement de menton. Aller chez Nicias avec Lysandre lui permettrait peut etre de trouver une pierre interessante et cette fois ça ne serait pas pour en faire un bijou dans la forge de son père.

Le jeune homme ne posa pas de questions à propos de la "course" rapide de son maître mais cela ne l'empecha pas de s'interroger sur sa nature. Sa curiosité fut bientot chassée par une préoccupation d'un autre ordre. Préparer les lames ce n'etait pas un soucis, le jeune esclave y etait habitué. Mais tuer le bétail c'etait une autre histoire.

Lorsque Lysandre sortit, Aeneas se leva et gagna l'autre bout de la pièce, là ou pendiat els outils du rôtisseurs.

"Je déteste faire ça... Tu sais ce qu'il est parti faire? A-t-il parlé de quelque chose pendant que j'etais à L'Agora?.. Dis moi Lysea? Est ce que tu connais autour de la cité, un endroit où je pourrais trouver de belles pierres?"

Lysea tourna la tête vers le rôtisseur lorsque celui-ci entra dans l'arrière boutique. Il semblait content qu'ils se soient mis au travail et Lysea rougit un peu, honteuse de n'avoir pas eu l'initiative toute seule. Elle s'était contentée de suivre Aeneas.

A sa demande, elle continua de trier des choux tout en écoutant son maître expliquer la situation. Elle acquièça à l'annonce de ce qu'elle devrait faire. Trier les légumes, elle savait faire. Elle se demandait juste quels légumes elle devait trier à part les oignons et les choux...

Lorsque Lysandre parla d'abattre des agneaux, Lysea sursauta malgré elle et se coupa légèrement le doigt qu'elle fourra dans sa bouche. Elle ne dit rien et le regarda partir avant de poser son regard inquiet sur Aeneas.

"Je ne veux pas tuer des agneaux, je ne peux pas." dit-elle en secouant la tête. Elle reprit un peu son calme et recommença à éplucher un oignon. "Je ne sais pas ce qu'il et parti faire... peut-être que la femme rousse a oublié quelque chose dans la boutique..."

Sa dernière question l'interloqua et elle leva les yeux de son chou pour regardé le jeune gaulois.
"Il y a bien le vieux lavoir abandonné dans la campagne... mais je ne sais pas si c'est ce genre de belles pierres que tu cherches..."

Aeneas comprenait parfaitement la repugnace que l'abattage des agneaux pouvait inspirer à la jeune femme. Aussi s'empressa-t-il de la rassurer.

"Ne t'inquiete pas Lysea. Ca sera comme à chaque fois, et c'est moi qui aiderait Lysandre pour tuer les bêtes. Il ne nous a pas demandé de le faire, juste de lui préparer les lames."

Le gaulois s'assit sur un petit tabouret et coinca le manche d'une lame entre ses genoux. Il saisit la pierre à affuter à deux mains et commença d'en frotter fortement le fil de la lame pour la rendre aussi tranchante que possible.

Lysea lui tournait le dos et, tout à sa tache, lui répondait à propos de ses pierres. Le natté observa un instant la ligne fine de sa taille. Elle etait petite et menue, rien à voir avec la grande et magnifique femme qu'etait Anthea, la favorite de Nicias. Elle passerait surement inaperçue au banquet du notable et c'en était surement mieux ainsi.

Il reposa le couteau affuté et pris un petit hachoir qu'il coinça entre ses genoux.

"Je cherche des pierres polies et claires, aussi translucides et fines que possible. Commes celles qui sont incrustées dans mon bracelet. Cela fait longtemps que je n'ai pas fabriqué de bijoux et j'aimerais demander à Lysandre de me permettre d'utiliser ses fours pendant le peu de temps libre que j'ai. Je pourrais peut etre les vendre à l'Agora et lui en donner le fruit."

C'etait un mensonge bien sur, il avait promis de ne rien révéler. Mais ce mensonge eclaira en lui une réalité presque possible. Cette idée n'etait pas si saugrenue qu'il y paraissait. Il en parlerait au rotisseur.

Lysea acquièça aux paroles rassurantes d'Aeneas. Elle ne voulait pas tuer les bêtes ni même y assister, alors elle ne le ferait pas. Elle recommença à trier des oignons puis des choux en alternance, ses gestes se faisant plus précis à chaque fois. Elle aimait bien cela et regrettait que sa mère ne lui ait pas laissé une chance de cuisiner à ses côtés. Elle se demandait ce qu faisait sa mère en ce moment, et aussi ses soeurs.. même son père. Elle se demandait aussi si eux pensaient à elle. Même si Lysea préférait vivre chez Lysandre car il ne se mettait pas en colère comme son père le faisait, sa mère et ses soeurs lui manquaient.

La voix d'Aeneas la sortit de ses pensées. Elle renifla et frotta ses yeux avec sa manche.

"Je ne sais pas si l'on peut trouver des pierres précieuses sur cette île. Mais si tu en trouves, je pourrais t'aider à fabriquer des bijoux ?"

"Bien sûr. Mais il faudra que je demande la permission a Lysandre."

Le gaulois reprit son ouvrage, la dure pierre crissait contre l'acier de la lame, herissant sa peau claire de chair de poule. Le silence s'était fait dans l'arrière boutique tandis que les deux esclaves s'affairaient, concentrés sur leur tâche.

Aeneas leva sa pierre et passa son pouce sur le fil de la lame. Elle etait coupante mais pas suffisamment. Le jeune esclave détestait tuer les animaux mais puisque cela etait necessaire, il s'arrangeait toujours pour que les outils du rôtisseur soient extremement coupants et ainsi limiter, si c'etait possible, les souffrances des bêtes.

Le natté recommença de frotter la pierre contre la lame vivement mais sans resultat. Il posa délicatement le couteau sur la table à sa droite et se leva.

"Lysea, je vais vite jusqu'à l'Agora pour acheter une pierre à affuter, celle-ci est trop abimée. Je reviens très vite. Si Lysandre revient explique lui."

Puis sans attendre de réponse, le gaulois sortit de l'arriere boutique, notant l'espace d'une seconde que c'etait quand meme plus pratique de marcher avec sa sandale rafistolée.

[L'Agora]

[La Villa de Nicias]

Lysandre regagna sa rôtisserie en proie à des sentiments mitigés. Il s'était passé trop de chose en trop peu de temps et le jeune homme ne parvenait pas à déterminer quelles seraient les conséquences à venir de ses actes. En conséquence, la meilleure chose à faire était de se concentrer sur le présent. Revoir ses deux esclaves et s'adonner à des tâches quotidiennes lui libérerait l'esprit.

*Oui, comme abattre une bête...*

Le rôtisseur frissonna. Cette fois-ci, il n'y couperait pas. Il refusait de laisser cette tâche à Aeneas. Après tout, l'esclave n'était à lui que pour une durée déterminée, il ne tenait pas à lui imposer les aspects les plus pénibles du métier. Il aurait pu s'en plaindre à son maître légitime par la suite...
Lorsqu'il entra dans l'arrière-boutique, seule Lysea était là, en proie, semblait-il, à une violente crise d'angoisse.

"Lysea ? Tout va bien ? Où est Aeneas ?"

Le couteau à la main, tenu tellement serré que sa main en tremblait un peu, Lysea n'avait guère avancé dans le découpage des légumes depuis que Aeneas était sorti. Elle regardait sans cesse autour d'elle, espérant voir revenir Lysandre et Aeneas.

Aussi, quand le rôtisseur entra enfin dans l'arrière-boutique, le visage crispé et apeuré de Lysea se transforma en sourire rayonnant de soulagement.

"Aeneas est sorti acheter une pierre à affûter parce que celle-là est usée." répondit-elle rapidement, espérant qu'il ne se mettrait pas en colère.

"Mais il a dit qu'il reviendrait vite et ça fait déjà un petit moment qu'il est parti..." ajouta-t-elle en se mordant la lèvre.